Etape renouvelée pour les Eglises du Moyen-Orient
Le courage de la vérité,
du témoignage et du patrimoine séculaire
Ecrit par Professeur Antoine Messarra, Chaire Unesco-USJ, Liban
Cet article a été publié sur le site web de “L’Orient Le Jour”
La 12e Assemblée générale du Conseil des Eglises du Moyen-Orient (MECC-CEMO), tenue au Centre papal Anba Bishop à Wadi el-Natrun en Egypte, les 16-20 mai 2022, avec la participation de plus de cent des plus hauts représentants de toutes les églises du Moyen-Orient, constitue une étape renouvelée pour le Conseil dont la fondation remonte à 1974. La 12e Assemblée, organisée par le secrétaire général, Dr. Michel Abs et l’équipe du CEMO, offre en effet un panorama global de la situation régionale actuelle et détermine les grandes priorités d’avenir.
En partant de la prescription évangélique : « Je suis avec vous, courage, n’ayez pas peur » (Matt. 14, 27), les hauts représentants des églises du Moyen-Orient, au cours de la séance inaugurale, vont droit à l’essentiel. Le Pape Tawadros II expose des « mutations qui concernent toute l’humanité et toutes les croyances, avec des générations en perte de repères, violence devenue mode de vie et addiction à l’indifférence, ce qui exige plus d’effort pour la transparence du vrai et des actions génératrices de convictions profondes. »
D’autres allocutions inaugurales insistent sur « le caractère cumulatif des crises » (Theodoros II), « les crises régionales devenues plus aigües et des rêves de jeunesse brisés d’une humanité malade » (Ignatius Aphram II), « matérialisme et négation du divin, avec cependant soif de témoignage vivant » (Ignatius Youssef III Younan), « la distorsion entre le passé et le présent » (Mgr Paul Sayyah).
On rappelle nombre de nouvelles déclarations, dont celle d’Al-Azhar sur « Citoyenneté et vivre ensemble » (2007) et d’Abou Dhabi sur « La fraternité et la paix mondiale » (2019) et on présente des exemples d’atteinte sanglante à la liberté et à la paix dont le meurtre de Shireen Abu Akleh et l’effort du CEMO, durant près d’un demi-siècle, pour approfondir le partage spirituel et l’exigence d’Etat, car « l’Eglise ne peut être un substitut à l’Etat » (Pat. Youssef Absi).
Priorités d’avenir
Quelles sont les grandes priorités d’avenir « dans la région même où le Christ est né et vécu ? » (Secrétaire général Dr. Michel Abs). Il faut certes poursuivre les programmes d’assistance, de service et l’aide sociale dans des situations de désastre, sans oublier cependant que la source profonde du désastre, comme du temps de Jésus, réside dans l’homme, c’est-à-dire la culture, les mentalités, la spiritualité. La foi de bâtisseurs, quand elle devient vacillante, paresseuse, obsédée par l’ego, la peur, l’immédiateté, est incapable de déplacer non un petit monticule, mais même un petit caillou !
On répète que « la peur est un handicap au progrès et l’exigence du travail collectif face à des mutations perverses », « l’exigence d’appréhender la présence chrétienne au Moyen-Orient, dont le patrimoine remonte aux origines, en tant que rôle ». On insiste sur l’exigence d’un « dialogue au-delà de la théologie dogmatique »
(Aram I), centré plutôt sur la foi en tant que spiritualité transcendante, non identitaire avec ses cloisonnements, « puisée du patrimoine » (Youhana X) et surtout « ciblée sur la nouvelle génération à servir avant qu’il ne soit trop tard » (Mgr Paul Sayah).
Une communication du Prof. Ibrahim Maroun est centrée sur la présence des chrétiens au Moyen-Orient, non pas exclusivement en termes de démographie, mais de rôle dans le développement, l’économie, la culture et l’éducation, avec l’exposé de données concrètes qui montrent tous les effets néfastes de l’émigration de forces vives qui ont forgé et forgent tout le patrimoine de la région. Il en découle l’exigence certes de vigilance, mais le rejet de toute nécrologie en vogue dans des publications à large diffusion sur « la mort des chrétiens d’Orient » ! Il y a là, en psychologie sociale, la prophétie qui se réalise d’elle-même, non pas en raison de conditions objectives, mais parce que les esprits ont été préparés et disposés à se soumettre au désastre.
C’est à Anba Bishoy Monastery, au Logos Papal Center, qu’on sent la présence physique de Jésus dans toute la région, et non exclusivement dans l’espace approprié par le sionisme, grâce notamment à la statut immense et bouleversante de la fuite douloureuse et accueillante en Egypte de Marie, Joseph et du nouveau-né.
Une autre communication de Andrea Zahi, portant sur le thème de la 12e Assemblée, exhorte à bannir la peur. Les multiples appels de l’Evangile à la foi qui donne force, courage et élan se heurtent aujourd’hui au recul du courage dans le monde. Le discours de Soljenitsyne à Harvard en 1978 est fort actuel. Nombre de travaux analysent aujourd’hui ce phénomène destructeur, alors que tout progrès humain est le fruit de l’élan spirituel et du courage (Cynthia Fleury, La fin du courage. La reconquête d’une vertu démocratique, Fayard, 2010 et : « Qu’est-ce qui vous rend courageux ? », Philosophie Magazine, mai 2022, pp. 42-63).
La problématique de la foi et du courage doit désormais être appréhendée avec plus de clairvoyance à la lumière de nombre de travaux récents sur un christianisme embourgeoisé, un humanisme de bien-être et un matérialisme moderne désengagé et consumériste. L’idée « d’unité spirituelle » (Rev. Habib Badr), celle corrélative « d’unité du témoignage » (Roseangela Jarjour), et celle de la foi qui transcende les religions institutionnelles et les dogmatismes devraient orienter l’âme du CEMO. Il s’agit du « courage de la vérité » selon Michel Foucaud ou parrêsia (dire vrai) selon les Grecs.
L’humanité qui « assiste aujourd’hui à la destruction de villes entières » appelle tous les dirigeants à être « à l’écoute des peuples ». On emploie même l’expression de « politicide », c’est-à-dire la mort du sens du public, « avec des conflits de toute espèce ». Il faudra recréer et acculturer le bien commun surtout au niveau de la vie quotidienne nationale et locale et dans un esprit de coopération et de partage. Le CEMO est apte « à se changer et changer » (Dr. Michel Abs).
Il s’agit face à des mutations de fournir des réponses nouvelles à des questions anciennes. On propose l’adoption d’une méthode semblable à celle des Lineamenta pour la préparation du Synode du Vatican pour le Liban en 1995 et qui consiste à rassembler les données et désidérata des églises (Tawadros II). On qualifie le CEMO « d’appareil respiratoire des églises ».
Patrimoine séculaire de pluralisme
Sauvegarder le patrimoine séculaire arabe de gestion du pluralisme religieux et culturel exige désormais des approches scientifiques, hors de clichés rabâchés et sans repère. Le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, qui reçoit, le 16 mai 2022, une délégation de patriarches de la 12e Assemblée souligne le caractère référentiel de notions de pluralisme, de citoyenneté et d’Etat (presse égyptienne du 17/5/2022).
Une mentalité de protectorat, exploitée dans la mobilisation politique (Rudolph el-Kareh) est incompatible avec la réalité vécue et les normes de toute démocratie. Il faudra ici rappeler les propos de Juvénal : « Oui nous protègera de nos protecteurs ?
Quis custodiet ipsos custodes ? » (Juvénal, Satire VI, 347-348). C’est ainsi que les visites organisées au patrimoine religieux copte plonge les participants dans un océan de spiritualité, celle de « l’Eglise des saints » dont parle Georges Bernanos.
Face au désastre aujourd’hui dans des villes détruites, au terrorisme rampant, à des guerres par procuration, au meurtre avec total sang-froid de Shireen Abi Akleh…, il faudra expliciter, vivre et propager le courage de la parole vraie à l’ère de la post vérité et de l’affirmation : Il n’a y a pas de faits, mais des interprétations !
Le courage, qu’on devra mieux expliquer aux nouvelles générations, est celui des disciples, paniqués, apeurés, poursuivis, et qui propagent leur témoignage sur la résurrection. Deux ouvrages récents insistent sur ce courage exceptionnel (Joseph Doré dir., Jésus : L’encyclopédie, Albin Michel, 2017, 846 p., pp. 37-45, et Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies, Dieu, la Science, les Preuves, Guy Tredaniel, 2021,
580 p., pp. 400-404.